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DOUZE ANS DE SÉJOUR

piens envisagent la sujétion de l’homme à l’homme dans l’ordre tant politique que civil ou domestique, il résulte que chez eux la position du domestique européen est moralement fausse. S’il se conforme aux mœurs du pays, en devenant comme le compagnon de son maître, il dénature son état, tel qu’il lui est fait en Europe ; et s’il conserve la manière d’être du domestique européen, il donne aux indigènes le spectacle d’une servitude qui leur paraît dégradante. C’est ainsi que j’eus lieu de moins regretter le départ de Jean. D’ailleurs, à cette époque, j’avais l’espoir de retourner un jour dans mon pays et d’y retrouver, par conséquent, en lui un serviteur éprouvé.

Après avoir traversé le Takkazé, nous nous engageâmes dans la région montagneuse du Samen. Les bois, la riche verdure, les sources limpides et abondantes et la douce fraîcheur du climat réveillèrent en moi les souvenirs de mon enfance dans les Pyrénées.

Dans la matinée, du cinquième jour, après notre départ d’Adwa, nous arrivâmes à Maïe-Tahalo. J’envoyai tout d’abord saluer l’abbé chez lequel j’avais logé lors de ma dernière visite au Dedjadj Oubié. Mais il était absent depuis quelques jours, ce que je regrettai d’autant plus que je ne connaissais pas d’autre personne à cette cour.

Nous fûmes bientôt introduits dans une grande hutte oblongue, basse et obscure, où le Dedjazmatch buvait l’hydromel en petit comité après son déjeuner. Il nous fit asseoir en face de lui, à côté d’un compatriote, M. Combes, chargé par le gouvernement français de nouer avec le Dedjadj Oubié des relations commerciales, qui n’aboutirent pas. Le Dedjazmatch, assis à la turque sur un haut alga, tenait son burilé à la main, et chaque fois qu’il le portait à ses lèvres,