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DOUZE ANS DE SÉJOUR

d’Aden et je passai quelque temps à jouir de l’intimité d’Aïdine Aga et d’un Arabe originaire de Bassora, qui venait de remplir auprès du Ras Ali et du Dedjadj Oubié une mission dont l’avait chargé le pacha de la Mecque. Cet Arabe, d’une érudition exceptionnelle pour son pays, avait étudié les mathématiques, l’astronomie et se servait même de l’astrolabe ; il parlait avec enthousiasme de quelques maîtres célèbres qui avaient professé diverses sciences dans les caves de Salamanque, lors de l’apogée de la domination des Maures en Espagne ; il déplorait l’ignorance des Arabes actuels, et lorsque je lui disais à quelle hauteur les nations européennes portaient aujourd’hui la science, il se laissait aller à souhaiter de les visiter un jour. Il savait par cœur tout le Coran et ses trois commentaires les plus orthodoxes ; il était bon poëte, connaissait l’histoire et les traditions de son pays et les racontait avec une verve et une élégance qui charmaient ses compatriotes. Un service important que je lui rendis détermina entre nous une confiance bien rare de musulman à chrétien. Il avait environ trente-cinq ans, se nommait Mahommed-el-Bassorawi, et on lui donnait le titre de Saïd.

Quant à Aïdine Aga, il faisait encore bonne contenance, malgré une maladie de poitrine qui l’emportait lentement. Il fumait son narghileh tout le long du jour, et lorsqu’on lui faisait observer qu’il aggravait ainsi son mal, il retroussait, en souriant, sa longue moustache et indiquant du doigt le ciel : « Allah est le plus fort, » disait-il. Il aimait beaucoup le saïd Mohammed et connaissait suffisamment la langue arabe pour goûter ses conversations ; aussi l’attirait-il chez lui assidûment, et souvent il nous entretenait lui-même d’une façon fort intéressante. Ayant quitté fort jeune