Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/568

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
560
DOUZE ANS DE SÉJOUR

Comme on se le rappelle, quelques heures après mon arrivée à Moussawa, mon frère y débarqua. En nous rendant dans la soirée au divan du gouverneur, il m’apprit qu’on disait au Caire qu’Aïdine avait tenté d’empoisonner un Européen ; que le vice-roi faisait instruire l’affaire, et qu’il avait promis au consul d’Autriche de faire décapiter l’Aga, si seulement deux témoins dignes de foi déposaient contre lui. Je communiquais à mon frère l’avis concordant donné par le botaniste, lorsque nous entrâmes dans le divan. L’Aga, nous accueillant avec son affabilité ordinaire, nous fit présenter à chacun un sorbet, et en attendant, selon l’usage, qu’on lui remît le sien, nous échangeâmes, mon frère et moi, un coup d’œil interrogateur, car nous avions oublié de concerter notre conduite, et Aïdine avait bien plus de deux cents talari à gagner à notre mort. D’un seul trait, nous vidâmes nos coupes, quoique d’après l’étiquette, nous eussions pu n’en goûter que du bout des lèvres ; le regard d’Aïdine nous avait semblé trop honnête pour abriter une trahison.

En effet, peu après, le hasard nous donna l’explication probable de l’alarme du naturaliste. Les habitants de la terre ferme apportent chaque matin à Moussawa des denrées de consommation journalière, entre autres, beaucoup de lait de chamelle ou de chèvre, qui, à l’époque de certaines herbes, leur emprunte des principes tels, que la plupart des indigènes cessent pour un temps de le prendre pour nourriture et ne l’emploient plus que comme purgatif. Le botaniste allemand ignorait ce détail d’hygiène locale ; il avait reçu l’hospitalité chez le gouverneur et s’était fait servir un matin du café au lait, dont les conséquences l’avaient épouvanté au point de lui faire croire à un empoisonnement. Aïdine fut tellement troublé par l’accusation,