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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

d’un homme, on dit : « C’est un véritable Arabe. » Il se trouvait précisément que Saber était infatué de son extraction arabe, qu’il prétendait être la seule qui fût avérée à Toudjourrah. Au pétillement de ses yeux, à la façon dont il se rengorgea en s’agitant sur son alga, je vis que j’avais touché juste.

— Ô mon maître, me dit-il, tu as donc entendu parler de moi ? Je ne suis qu’un obscur trafiquant perdu ici, au milieu de gens grossiers, et voici que mon nom a frappé ton oreille au delà de la mer ! C’est naturel après tout : bonne race est le plus précieux des biens qu’Allah nous donne. Que le Prophète bénisse ceux qui m’ont transmis le sang d’Ismaël ! Mais toi, comment t’appelles-tu ?

— Mikaël.

— Eh bien, Mikaël, puisque c’est ton nom, tu es venu ici pour aller dans le Chawa sans doute ? Mais ces gens sans religion ont aliéné le droit d’accueillir les étrangers. Mes pères, à moi, donnaient le pain et le sel aux meurtriers mêmes de leurs proches, quand au nom d’Allah, ils se présentaient devant leurs tentes ; et ces fils de chiens se disent Arabes, après avoir mis leur hospitalité en tutelle des Anglais ! Je sais ce qui se passe : on veut t’empêcher de te reposer ici, toi, l’étranger d’Allah, l’homme en voyage, qui ne demandes qu’à laisser sur notre terre l’empreinte de tes sandales. Aurais-tu envie de leur résister ? Il sera curieux de voir ce qu’ils pourront faire. J’ai entendu parler des Français ; ils ne sont pas riches comme les Anglais, dit-on, mais ils sont braves. Notre chef et ses acolytes ont follement accepté l’argent d’Aden, croyant qu’il n’y avait qu’à le prendre ; ils vont avoir à le gagner. Les Français n’ont-ils pas aussi des vaisseaux sur la mer ?