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DOUZE ANS DE SÉJOUR

qu’ils ne se contiendraient plus. Mais l’effervescence se calma ; on délibéra, on discuta longtemps et le Conseil se dispersa.

Assis sur le seuil de la maisonnette, je cherchais à prévoir la fin de toute cette affaire, lorsqu’une vieille esclave sortit d’une maison voisine, celle de la femme du Sultan, en terminant une phrase en amarigna. Je la saluai dans sa langue ; elle s’arrêta stupéfaite ; et quelques mots échangés établirent un lien entre nous. Volée à une famille chrétienne dans le Chawa et vendue à Toudjourrah, cette malheureuse était devenue gardienne des deux filles du Sultan, âgées de seize à dix-huit ans. Elle rentra chez ses maîtresses, et bientôt, en passant près de moi, elle me dit à demi-voix en amarigna :

— Courage ! Le maître ne sait que faire ; persiste, et tu resteras.

Quelques instants après, une quarantaine d’hommes, armés de boucliers, de coutelas et de javelines, vinrent se grouper à quelques pas de moi. L’un d’eux, dont j’avais remarqué la violence durant le Conseil, vint me sommer en mauvais arabe de m’embarquer sur-le-champ. Je restai assis sans répondre, adossé à la maisonnette. La troupe m’entoura.

— Tu n’as donc pas de sens ? me dirent-ils. Que te faut-il pour partir ?

— Ce que je vous ai dit : la sommation écrite ou la contrainte.

Ils crièrent ; plusieurs tournèrent leurs javelines contre moi, et l’un d’eux tenta de me faire lever en me tirant par le bras. J’étais armé aussi ; mais ma résistance passive les décontenança : ils reculèrent, s’entre-regardèrent ; et il était temps, car les uns et les autres nous touchions à un de ces moments