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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

divers intérêts qui agitaient ce petit peuple. Saber devint pour moi un chroniqueur précieux. C’était un original que presque personne ne visitait, et il ne sortait jamais de chez lui, si ce n’est le vendredi pour se rendre à la mosquée ; mais son âge, son intelligence déliée, son esprit inquiet et mordant faisaient de lui une autorité avec laquelle on comptait. Ses réflexions satiriques couraient de bouche en bouche. Il s’habitua si bien à bavarder avec moi que lorsque durant la journée, j’omettais de l’aller voir, il ne manquait pas de m’envoyer chercher.

Il paraît que Scher Marka, l’agent à Berberah du capitaine Heines, s’étant assuré de notre destination, malgré nos soins à la tenir cachée, avait averti le capitaine de notre départ pour Toudjourrah, et que celui-ci avait envoyé sur-le-champ le capitaine Christofer pour nous devancer à Toudjourrah et encourager les habitants à s’opposer à notre débarquement. Surpris par la diligence que nous avions faite et par ma manière imprévue de traiter avec le Sultan, le capitaine Heines donna des ordres pour rendre au moins notre séjour infructueux et décourageant : il était défendu de nous vendre aucune provision de bouche, et les indigènes répétaient que si l’on nous permettait de nous joindre à une caravane pour l’intérieur, les croiseurs anglais arrêteraient le commerce maritime de Toudjourrah, et confisqueraient tous les esclaves. Quant aux instructions relatives à notre régime, elles furent rigoureusement mises à exécution ; et nous serions morts de faim sans quelques sacs de riz que par précaution nous avions apportés de Berberah ; pendant tout notre séjour, le secrétaire de mon frère et moi, nous n’eûmes pour toute nourriture que du riz cuit à l’eau. Un ami, s’étant apitoyé