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LETTRE DEUXIÈME


HÉLOISE À ABÉLARD



SOMMAIRE

Héloïse, amante, puis épouse d’Abélard et placée par lui à la tête du monastère du Paraclet, dont il avait jeté les fondements avec l’assistance de ses disciples, ayant lu la lettre qu’il avait adressée à un ami, lui écrit pour le prier de lui faire connaître les dangers qu’il court ou le salut dont il jouit, afin qu’elle puisse s’associer soit à sa peine, soit à sa joie. Elle lui demande avec instances pourquoi il ne lui a plus écrit depuis qu’elle a prononcé ses vœux, quand auparavant il lui adressait tant de lettres d’amour. Elle lui rappelle leur passion d’autrefois, passion charnelle et honteuse ; elle lui expose ses sentiments d’aujourd’hui, sentiments spirituels et purs, et elle se plaint avec amertume qu’il n’y réponde pas.

La lettre est celle d’une femme : les élans passionnés, les gémissements, les plaintes y abondent ; on y sent aussi une imagination nourrie d’une exubérante érudition.


À son maître, ou plutôt à son père ; à son époux, ou plutôt à son frère ; sa servante, ou plutôt sa fille ; son épouse, ou plutôt sa sœur ; à Abélard, Héloïse.


I. La lettre que vous avez, mon bien-aimé, adressée à un ami pour le consoler, un hasard l’a fait venir dernièrement jusqu’à moi. Au seul caractère de la suscription reconnaissant qu’elle était de vous, je la dévorai avec une ardeur égale à ma tendresse pour celui qui l’avait écrite : si j’avais perdu sa personne, ses paroles du moins allaient me rendre en partie son image. Hélas ! chaque ligne, pour ainsi dire, de cette lettre encore présente à ma mémoire était pleine de fiel et d’absinthe, car elle retraçait la déplorable histoire de notre conversion et de vos épreuves sans merci ni trêve, ô mon bien suprême.

Vous avez bien rempli la promesse qu’en commençant vous faisiez à votre ami : ses peines, au prix des vôtres, il a pu s’en convaincre, ne sont rien ou peu de chose. Après avoir rappelé les persécutions dirigées contre vous par vos maîtres, et les derniers outrages lâchement infligés à votre corps, vous avez peint l’odieuse jalousie et l’acharnement passionné dont vos condis-