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INTRODUCTION.

grand problème de psychologie et de morale, il nous a semblé qu’il ne serait peut-être pas sans intérêt de présenter, dans leur ensemble intact et sous le contrôle du texte de V. Cousin, placé en regard, les lettres et tous les morceaux qui portent la marque d’un échange de sentiments ou de pensées entre Abélard et Héloïse. Ainsi pourra-t-on suivre exactement les transformations graduelles ou violentes, les réveils soudains, les mouvements étouffés de la passion qui remplit l’âme d’Héloïse jusqu’à son dernier souffle, et qu’Abélard respecte et ménage, alors même que depuis longtemps il a cessé de la ressentir ou qu’il s’est interdit de la partager.

Tel est l’objet de cette traduction nouvelle. Nous voudrions essayer ici d’en marquer le caractère avec précision. Loin de nous la prétention de reprendre dans le détail la dramatique histoire d’Abélard et d’Héloïse. Elle n’est plus à faire. « La Vie d’Abélard, a dit Sainte-Beuve[1], en parlant de la partie biographique de l’ouvrage de M. de Rémusat, est un chef-d’œuvre. » Notre seul dessein est de mettre en lumière les traits essentiels de cette passion sans égale, en les dégageant des erreurs que les imitations et les traductions libres ont accumulées.


I


La Lettre à un Ami, placée en tête des Lettres amoureuses, en est l’introduction. On ignore à qui elle, était adressée. Le correspondant d’Abélard n’était-il qu’un Philinte imaginaire[2] ? La chose ne vaut guère la peine d’être discutée. En réalité, la Lettre à un Ami est une autobiographie d’Abélard, le récit fait par lui-même, douze ans après la catastrophe qui l’avait séparé d’Héloïse, de ses triomphes et de ses disgrâces. Récit d’un étrange et puissant intérêt. On a comparé cette lettre aux confessions de saint Augustin et à celles de J.-J. Rousseau. Elle tient, des premières, en effet, par un fonds de componction sincère ; elle rappelle les autres par les saillies d’un orgueil que des épreuves cruelles ont pu courber, mais non briser,

  1. Causeries du Lundi, VI, p. 298. On sait, de plus, qu’il existe de la plume de M. de Rémusat un drame d’Abélard « tout fait, et qui obtiendrait, le suffrage du public des lecteurs, si l’auteur se décidait à le publier. » (Id., Ibid., p. 297.)
  2. Dom. Gervaise, la Vie de Pierre Abailard, lv, 4. — Cf. Bayle, art. Abeilard ; Colardeau, Histoire abrégée d’Abélard et d’Héloïse ; Turlot, Héloïse et Abélard avec un aperçu du douzième siècle.