Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/169

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ritons pas de tels éloges, notre front bien appris se couvre de rougeur ; et cependant, au bruit de la louange, notre âme tressaille de joie. » Telle est l’habile coquetterie de l’aimable Galathée, dans la description de Virgile. Elle témoignait, en fuyant, son ardeur pour ce qu’elle désirait, et, par un refus simulé, excitait la passion de son amant : « elle fuit derrière les saules, dit-il, et souhaite d’être vue auparavant. » Avant de se cacher, elle veut qu’on la voie tandis qu’elle fuit, et cette fuite, par laquelle elle parait se soustraire aux caresses, n’est qu’un moyen de se les assurer. C’est ainsi qu’en ayant l’air de fuir les louanges, nous en provoquons le redoublement. Nous feignons de vouloir nous cacher, pour dérober ce que nous avons de louable, et ce n’est qu’une manière d’exciter à la louange les dupes de ce manège, en doublant notre mérite à leurs yeux.

Ce que nous disons, n’est que pour signaler ce qui a lieu d’ordinaire ; mais nous ne vous soupçonnons pas de tels artifices ; nous n’avons point de doute sur la sincérité de votre modestie. Nous désirons seulement que vous vous teniez en garde contre les formes de langage qui pourraient faire croire à ceux qui ne vous connaîtraient pas, que « vous cherchez la gloire, comme dit saint Jérôme, en la fuyant. » Jamais un éloge de ma part ne tendra à vous enfler le cœur. Il n’aura d’autre but que de vous provoquer à vous rendre meilleure et à vous faire embrasser les vertus avec une ardeur égale à votre désir de me plaire. Mes éloges ne sont pas un certificat de piété qui puisse vous inspirer un sentiment d’orgueil. Il ne faut pas attacher plus de créance à la louange d’un ami qu’au blâme d’un ennemi.

IV. Il me reste enfin à parler de cette ancienne et éternelle plainte au sujet des circonstances de notre conversion. Vous la reprochez à Dieu, quand vous devriez l’en remercier. J’avais pensé que la considération des desseins si manifestes de la miséricorde divine avait depuis longtemps effacé de votre âme ces sentiments d’amertume, sentiments dangereux pour vous, dont ils usent le corps et l’âme, et, par là même, d’autant plus pénibles et plus douloureux pour moi. Vous songez par-dessus tout à me plaire, dites-vous. Si vous voulez cesser de me mettre à la torture, je ne dis pas si vous voulez me plaire, rejetez ces sentiments de votre âme. En les entretenant, vous ne sauriez ni me plaire, ni parvenir avec moi à la béatitude éternelle. M’y laisserez-vous aller sans vous, vous qui vous déclarez prête à me suivre jusque dans les gouffres brûlants des enfers ? Appelez de tous vos vœux la piété dans votre âme, ne fût-ce que pour n’être pas séparée de moi, tandis que, comme vous le dites, je vais à Dieu. Songez, en entrant dans cette voie, que la béatitude est le but du voyage, et que les fruits de ce bonheur seront d’autant plus doux que nous les goûterons ensemble. Souvenez-vous de ce que vous avez dit ; rappelez-vous ce que vous avez écrit, au sujet des circonstances de notre conversion : que Dieu, bien loin de manifester des sentiments ennemis, s’était bien plutôt manifestement montré miséricordieux envers moi. Sachez du moins vous soumettre à un arrêt si heureux pour