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INTRODUCTION.

du comte Thibaut. Là, sa renommée avait, en peu de temps, rassemblé la foule autour de son oratoire de chaume et de sa chaire de gazon. Les disciples arrivaient de toute part, abandonnant les villes et les châteaux. Il semblait revenu aux plus beaux jours de son enseignement. Mais bientôt sa confiance agressive et le nom de Paraclet donné au temple qu’il avait fondé, avaient réveillé les inimitiés de ses adversaires. S’attendant chaque jour à être traîné devant un concile comme hérétique, il se disposait, dit-il, à quitter les pays chrétiens pour passer chez les infidèles, dût-il acheter au prix d’un tribut le droit de vivre chrétiennement parmi les ennemis du Christ, quand le choix unanime des moines de l’abbaye de Saint-Gildas de Ruys, en Bretagne, d’accord avec le seigneur du pays, l’appela à la tête du couvent.

Sur ces entrefaites, l’abbé de Saint-Denis avait, à la suite de graves désordres, réclamé comme une annexe autrefois soumise à sa juridiction l’abbaye d’Argenteuil, et expulsé la communauté dont Héloïse était devenue prieure. Ce fut alors qu’Abélard reporta vers elle sa pensée. Il l’invita à s’établir au Paraclet avec ses religieuses, et lui en fit don. Il revint lui-même à son oratoire, à diverses reprises, pendant deux ans, et les violences des moines de Saint-Gildas lui rendant le séjour de son abbaye intolérable, il semble même qu’il ait un moment songé à s’y faire une retraite où, « comme dans un port, il pût goûter la tranquillité qui partout ailleurs lui échappait. » Mais les calomnies ne lui permirent pas de continuer ses visites, et bientôt elles l’obligèrent à les cesser entièrement. Était-il effectivement rentré en rapport avec Héloïse ? C’est une question sur laquelle la critique est divisée[1]. Le juge le plus autorisé à la résoudre, M. de Rémusat, évite de se prononcer[2]. Il ne nous parait pas impossible d’arriver, d’après les textes, à une certitude satisfaisante. Ce qui fait la difficulté, c’est qu’Héloïse déclare expressément, dans sa première lettre, qu’elle n’a jamais revu Abélard depuis sa conversion[3]. Cependant il n’est point contestable qu’Abélard soit venu et qu’il ait, à divers moments, séjourné au Paraclet pour la donation du couvent d’abord, puis, soit pour l’instruction des religieuses, soit pour des prédications publiques dont le revenu constitua les premières ressources de la communauté[4] ; Héloïse ne nie le fait en aucune façon. Mais de quoi se plaint-elle ? De n’avoir eu avec lui aucun de ces entretiens personnels, par écrit ou de vive

  1. Correspondance littéraire, t. I, no 2, p. 97 et suiv.
  2. Liv. I. p. 134.
  3. Lettres, II, §5 et 6, p 78 et suiv. ; Cf. III, § 1, p. 81, 102 ; § 4 et 5, p 90.
  4. Lettre à un Ami, § 14, p. 54 et suiv.