Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/261

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dre à renier Dieu et à abjurer sa foi ? Interrogée au sujet du Christ avec le chef des Apôtres, aurait-elle répondu comme lui : « Je ne connais pas cet homme ? » Laissée libre par son père pendant deux mois, elle revint vers son père, à l’expiration du délai, s’offrir au sacrifice. Elle va au-devant de la mort, elle vient la chercher, loin de la craindre. Elle paye de sa vie le vœu insensé de son père, elle le dégage de sa parole au prix de son sang, par respect pour la vérité. Quelle horreur n’eût-elle pas eu elle-même pour le parjure, elle qui n’en peut supporter la pensée chez son père ? Quelle n’était pas l’ardeur virginale de son amour pour son père charnel et pour son père spirituel ! Par sa mort, en même temps qu’elle épargne à l’un le parjure, elle satisfait à la promesse faite à l’autre. Aussi cette grandeur de courage dans une jeune fille a-t-elle mérité, par exception, que chaque année, les filles d’Israël, se rassemblant en un même lieu, célèbrent ses funérailles par des hymnes solennels, et versent de pieuses larmes de commisération sur le sacrifice de l’innocente victime.

Sans nous arrêter à d’autres exemples, qu’y a-t-il eu de plus nécessaire à notre rédemption et au salut du monde entier que le sexe féminin, qui a donné le jour au Sauveur ? C’est cet insigne honneur que la femme, qui la première osa forcer la tente de saint Hilarion, opposait à sa surprise : « Pourquoi détourner les yeux ? dit-elle ; pourquoi éviter ma prière ? ne songez pas que je suis femme, mais que je suis malheureuse : c’est mon sexe qui a donné le jour au Sauveur. »

Est-il une gloire comparable à celle que ce sexe a acquis dans la personne de la Mère du Seigneur ? Le Rédempteur aurait pu, s’il l’eût voulu, naître d’un homme, lui qui a formé la femme du corps de l’homme ; mais il a voulu faire tourner à l’honneur du sexe le plus faible la gloire insigne de sa propre humilité. Il aurait pu, pour naître, choisir dans la femme une partie plus noble que celle qui sert à la fois à la conception et à l’enfantement des autres hommes ; mais, pour la gloire incomparable du sexe le plus faible, il a ennobli l’organe générateur de la femme par sa naissance, bien plus qu’il n’avait fait celui de l’homme par la circoncision.

Et maintenant, laissons la dignité particulière des vierges, et passons à d’autres femmes, suivant le plan que j’ai annoncé.

Voyez la grandeur de la grâce que la venue du Christ a aussitôt répandue sur Élisabeth, qui était mariée, et sur Anne, qui était veuve. Zacharie, mari d’Elisabeth et grand-prêtre du Seigneur, n’avait pas encore recouvré la parole que son incrédulité lui avait fait perdre, quand, à l’arrivée et à la salutation de Marie, Élisabeth, remplie de l’esprit de Dieu, et ayant senti son enfant tressaillir dans son sein, prophétisa la première que Marie avait conçu et devint ainsi plus que prophète. Elle l’annonça sur-le-champ et engagea la Mère du Seigneur à remercier Dieu des grâces dont il la comblait. Le don de prophétie ne paraît-il pas plus accompli dans Élisabeth, qui a connu aussitôt la conception du Fils de Dieu, que dans saint Jean qui