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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE.

ne l’annonça que longtemps après sa naissance ? J’ai appelé Marie-Madeleine l’apôtre des Apôtres ; je n’hésiterais pas à appeler de même Élisabeth le prophète des prophètes, elle ou cette bienheureuse veuve, Anne, dont j’ai déjà longuement parlé.

VII. Que si nous examinons jusque chez les Gentils ce don de prophétie, que la Sibylle paraisse ici la première et qu’elle nous dise ce qui lui a été révélé au sujet de Jésus-Christ. Si nous comparons avec elle tous les prophètes et Isaïe lui-même, lequel, selon saint Jérôme, est moins un prophète qu’un évangéliste, nous verrons encore dans cette grâce la prééminence des femmes sur les hommes. Saint Augustin, invoquant son témoignage contre les hérétiques, dit : « Écoutons ce que dit la Sibylle, leur prophétesse, au sujet de Jésus-Christ : « Le Seigneur, dit-elle, a donné aux hommes fidèles un autre Dieu à adorer ; » et ailleurs : « Reconnaissez-le pour votre Seigneur, pour le Fils de Dieu. » Dans un autre endroit, elle appelle le Fils de Dieu symbolon, c’est-à-dire conseiller. Et le prophète dit : « Ils l’appelleront l’admirable, le conseiller. » Dans le XVIIIe livre de la Cité de Dieu, saint Augustin écrit encore : « Quelques-uns rapportent que, dès ce temps-là, la Sibylle d’Érythrée, d’autres disent la Sibylle de Cumes, avait fait une prédiction en vingt-sept vers, qui ont été traduits en latin et qui contiennent ce passage : — En signe de jugement, la terre se mouillera de sueur ; un Roi qui doit vivre dans tous les siècles descendra du ciel, revêtu de chair, pour juger l’univers. — Et en réunissant les premières lettres de chaque vers grec, on trouve : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. »


Lactance cite aussi plusieurs prophéties de la Sibylle au sujet de Jésus-Christ, « Il tombera ensuite, dit-elle, entre les mains des infidèles ; de leurs mains sacrilèges, ils donneront à Dieu des soufflets, de leur bouche impure, ils lui cracheront des crachats empoisonnés. Et lui, il tendra humblement ses épaules sacrées à leurs coups ; il recevra en silence leurs soufflets, de peur qu’on ne reconnaisse le Verbe et que l’enfer ne l’apprenne. Ils le couronneront d’épines. Pour nourriture, ils lui donneront du fiel ; pour boisson, du vinaigre : telle sera la table de leur hospitalité. Nation insensée ! tu n’as pas compris que ton Dieu méritait les hommages de toute la terre, et tu l’as couronné d’épines, tu as mêlé pour lui le fiel et le vinaigre. Le voile du temple se déchirera, et, au milieu du jour, la nuit couvrira la terre pendant trois heures ; il mourra, et après trois jours de sommeil, sortant des enfers, il apparaîtra à la lumière pour montrer aux hommes le principe de la résurrection. »

Virgile, le plus grand de nos poètes, connaissait, sans doute, et avait médité cet oracle de la Sibylle, quand, dans sa IVe églogue, il prédit, sous le règne de César-Auguste et le consulat de Pollion, la naissance miraculeuse