Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres II.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE.

31D

mange, à la cuisine, et surtout à partir des compiles : on peut seulement communiquer par signes, dans ces lieux et pendant ce temps, s’il est néces- saire. — Et l’on doit prendre le plus grand soin à enseigner et à apprendre ces signes, destinés à inviter ceux à qui il est indispensable de parler à pas- ser dans un endroit convenable et disposé pour l’entretien. Après avoir brièvement usé du langage nécessaire, on doit revenir soit à l’occupation qu’on a quittée, soit à celle du moment.

On doit punir sévèrement l’excès dans les paroles ou dans les signes, mais surtout dans les paroles, dont le danger est le plus grand. C’est contre ce péril si grand et si manifeste que saint Grégoire, désirant nous venir en aide, dit dans son huitième livre fies Morales : « Tandis que nous négli- geons de nous tenir en garde contre les paroles inutiles, nous arrivons à celles qui sont nuisibles : de là naissent les divisions, de là sortent les que- relles ; ainsi s’enflamment les brandons des haines, ainsi périt la paix du cœur. » Aussi Salomon disait-il sagement : « Celui qui fait aller l’eau est la source des querelles. » Faire aller l’eau, c’est abandonner sa langue à un flux de paroles. Au contraire, il dit en bonne part : « L’eau profonde vient de la bouche de l’homme. » Celui-là donc qui fait aller l’eau est la source des querelles, parce que celui qui ne met pas un frein à sa langue détruit la bonne harmonie. D’où il est écrit : « Celui qui impose silence à un in- sensé arrête la colère. »

C’est nous avertir clairement d’employer la censure la plus rigoureuse pour corriger ce défaut, et de ne jamais différer la répression d’un mal qui, plus que tout autre, met la religion en péril. En effet, il est l’origine des médisances, des querelles, des injures, souvent même des complots qui n’é- branlent pas seulement, — ce n’est pas assez dire, — qui renversent l’édi- fice entier de la religion. Retranchez-le, toutes les mauvaises pensées, sans doute, ne seront pas détruites ; mais la gangrène ne passera plus, du moins, des uns aux autres.

Comme s’il eût pensé qu’il suffisait à la piété de fuir ce vice, l’abbé Ma- caire donnait aux moines de son monastère de Scyti ce conseil : « Mes frères, évitez-vous les uns les autres après l’office divin. » Et un religieux lui ayant dit un jour : « Où voulez-vous, mon père, que nous puissions trouver une plus grande solitude ? i il posa son doigt sur ses lèvres et dit : « C’est là ce que je vous dis d’éviter. » Puis il rentra dans sa cellule et s’y enferma seul. — Cette vertu du silence qui, selon saint Jacques, rend l’homme parfait, et dont Isaïe a dit : « La pratique de la justice est le si- lence, » a été appliquée par les Pères avec tant de zèle, que l’abbé Agathon, ainsi qu’il est écrit, mit pendant trois ans une pierre dans sa bouche, jus- qu’à ce qu’il eût pris l’habitude de se taire.

Bien que ce ne soit pas le lieu qui sauve, il est des lieux cependant qui offrent plus d’avantages pour observer aisément et garder fidèlement la piété ; des lieux où l’on trouve tous les secours et point d’obstacles. C’est