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LETTRE HUITIÈME

ABÉLARD À HÉLOÏSE


SOMMAIRE

Héloïse avait prié Abélard de l’éclairer sur deux points : il a répondu au premier dans la lettre précédente ; il va entamer le second. L’objet de la seconde demande d’Héloïse était une règle pour les religieuses du Paraclet : il trace cette règle dans cette lettre, ou plutôt dans ce livre, où les citations des saints Pères forment comme un bouquet de fleurs. Il appelle ce traité tripartit, parce qu’il y traite des trois vertus principales des moines : la continence, la pauvreté volontaire et le silence. Il met à la tête de la congrégation sept sœurs officières chargées de veiller aux choses qui regardent les âmes et à celles qui concernent les besoins temporels ou corporels. Il permet aux religieuses l’usage de la viande trois fois par semaine, et l’usage modéré du vin. Il règle avec une sage précision tous les détails de la vie monastique.


Déjà j’ai satisfait, dans la mesure de mes forces, à la première de vos demandes ; il me reste à m’occuper de la seconde, avec la grâce de Dieu, pour répondre à vos désirs et à ceux de vos filles spirituelles.

Je dois, selon l’ordre de vos vœux, vous tracer et vous envoyer un plan de vie qui soit comme la règle de votre profession. Vous pensez que des instructions écrites vous seront un meilleur guide que la coutume. Pour moi, voici ce que je me propose de faire. Je prendrai comme bases, d’une part, les meilleures coutumes, d’autre part, les instructions des saintes Écritures, et j’en ferai un corps de doctrine. Vous êtes le temple spirituel du Seigneur, j’ai à le décorer ; je le revêtirai, pour ainsi dire, de peintures de choix ; de plusieurs œuvres imparfaites, je chercherai à composer une œuvre qui réalise la perfection. Je m’efforcerai de faire, pour un temple spirituel, ce que le peintre Zeuxis a fait pour un temple de pierre. Les habitants de Crotone l’avaient appelé, rapporte Cicéron dans sa Rhétorique, pour orner des plus belles peintures un temple qu’ils avaient en grande vénération. Afin de mieux remplir cette tâche, Zeuxis choisit les cinq plus nobles vierges de la ville, pour les faire poser devant lui et pour travailler à reproduire leur beauté avec son pinceau. Deux raisons vraisemblablement le firent agir