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QUESTIONS DHÉLOlSE ET REPONSES D’ABÉLARD. 457

Par pauvres en esprit, il faut entendre ceux qui supportent la pauvreté, non par nécessité, mais qui, éclairés par la raison, aspirent à la pauvreté de ce Dieu dont leur cœur est embrasé, dédaignent les richesses, les fuient comme nuisibles, et se souviennent de la parole du Seigneur : « 11 est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. » Le Seigneur appelle ici raison l’es- prit, dans ce sens où l’Apôtre dit plus bas : t La chair lutte contre la chair. » Qui ne sait, en effet, que la concupiscence est le fait de l’âme plutôt que du corps ? Or la chair lutte sous l’aiguillon de la concupiscence contre l’esprit, lorsque dans la même âme la sensualité, c’est-à-dire la jouissance venant de . la faiblesse de la chair, résiste à la raison, et que, selon la parole de l’Apôtre, nous arrivons à faire ce que nous ne voulons pas, c’est-à-dire ce que nous ne regardons pas comme bon de faire. Lors donc que l’esprit, c’est-à-dire la raison, nous suggère ce que nous devons faire et que les passions charnelles nous détournent d’accomplir cette chose qu’il n’est pas sans difficulté d’ac- complir, l’esprit est vaincu par la chair et lui est asservi ; en sorte que l’homme livré aux désirs de la chair comme les bétes ne mérite plus que djètre appelé l’homme charnel ou bestial.

« Le royaume des cieux lui appartient. » Le Seigneur veut dire par là, que les pauvres en esprit sont bienheureux, en ce sens que ceux qui dédaignent, suivant les conseils de la raison, les choses de la terre, méritent celles du ciel. Ils sont pauvres en esprit ceux qui font passer Dieu avant l’ambition des richesses et des honneurs, et ne désirent rien en vue du plaisir ; qui, contents du nécessaire, s’abstiennent même de ce qui est permis, afin de ne pas être séduits par les plaisirs de la terre, et qui travaillent à donner tous leurs soins à Dieu plutôt qu’au siècle. Tels sont ceux qui de la vie tumul- tueuse du siècle passent à la vie paisible des monastères, afin de se consacrer à Dieu et au salut de leurs âmes d’autant plus purement qu’ils sont éloignés des pensées du siècle, afin de pouvoir s’élever dans le ciel d’autant plus aisément, qu’ils sont plus déchargés du fardeau de la terre. C’est ce que saint Jérôme regardait comme figuré dans la prière des moines, quand il disait : t Élie, se hâtant vers le royaume des cieux, a laissé son manteau sur la terre. » Ainsi, devenu pauvre en esprit, oh devient nécessairement doux et charitable. En effet, lorsqu’il n’est rien sur terre que l’on désire, il n’est point de pertes de biens, point d’outrages qui puissent enflammer de colère.

A ceux qui se possèdent et qui, maîtres d’eux-mêmes, résistent aux con- seils de la chair, la terre des vivants, c’est-à-dire la vraie solidité de la béa- titude, est promise comme récompense par cette parole : « Ils posséderont la terre. • C’est cette vertu de douceur et de patience que Jérémie décrit, quand il dit : « Il est bon pour l’homme de porter le joug de la jeunesse ; il demeurera solitaire, il se taira, s’il s’est élevé au-dessus de lui-même ; il se prosternera la face dans la poussière, si quelque espérance point dans son