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QUESTIONS D’HÉLOÎSE ET RÉPONSES D’ABBLARD. 473

Seigneur, et il te délivrera. Lorsque ton ennemi aura succombé, ne te réjouis pas ; que ton cœur ne tressaille pas.de joie à la vue de sa ruine, dans la crainte que le Seigneur ne le voie, qu’il n’en soit affligé et qu’il n’écarte de lui sa colère. Ne dis pas : c Comme il m’a fait, je lui ferai ; je rendrai à chacun selon ses œuvres. » Et eucore : • Si ton ennemi a faim, nourris-le ; s’il a soif, donne-lui à boire, — autrement tu amasseras des charbons ardents sur sa tète, — et le Seigneur te le rendra. » Et le bienheureux Job : « C’est que je me suis réjoui de la ruine de celui qui me haïssait, et que j’ai triomphé de le voir dans le malheur. Je ne lui ai pas donné mon cœur pour pécher, je n’ai pas été chercher son àme pour la maudire. •

Donc la Loi ne prescrivait ni n’accordait de haïr ses ennemis ; c’est là, je le répèle, le fait de la tradition humaine, non des préceptes divins. Quand donc le Seigneur dit : c Plus que celle des scribes et des pharisiens, » cela ne veut pas dire plus que la Loi ; nous ne sommes nullement obligés par là de reconnaître que le Seigneur établit la supériorité de l’Évangile sur l’imperfection de la Loi. Mais nous ne maintenons pas moins que la Loi était imparfaite dans ses préceptes et qu’il fallait que l’Évangile la rempla- çât ; l’Apôtre, je le répète, le déclare formellement. Le commandement de l’amour du prochain ne pouvait être parfait avant l’arrivée du Christ ; il fal- lait qu’il vint, et que se faisant notre prochain en prenant notre corps, non moins qu’en nous témoignant son amour, il lui donnât sa perfection ; en sorte que chacun, l’aimant dès lors comme son prochain, il devint parfait par cet amour. Ainsi, au même riche qui lui demande quel est son prochain, il ré- pond sous forme de parabole, en lui donnant à entendre que son prochain est représenté par le Samaritain qui eut compassion du blessé, et que le riche lui-même, en suivant sa compassion, reconnut comme son véritable prochain.

Qu’il y ait doue dans la Loi : « Tu aimeras ton ami, » ou « ton prochain, » ce mot employé dans un sens lel que nous reconnaissions comme prochain celui qui nous est uni par un lien de parenté ou d’affection, personne ne peut plus justement que le Christ être appelé notre prochain. Car c’est en lui qu’a été rendu parfait l’amour du prochain, imparfait jusque-là et tout le temps que la Loi, qui dura jusqu’à Jean, conserva sa force et son empire. Bien qu’imparfaite, tant qu’elle dut être appelée la Loi, il fallait lui obéir en tout. Mais elle fut rejelée pour cette imperfection même, et remplacée par la perfection de la loi évangélique, où tout ce qui est nécessaire est indiqué en termes propres, non sous forme de parabole. Car, si rigoureusement qu’on presse la lettre de la Loi, d’après le texte donué au seul peuple des Juifs, on ne peut entendre par le prochain que le prochain des Juifs.

Le commandement du Christ sur l’amour du prochain ne peut donc con- cerner un autre peuple que les Juifs, puisque les Juifs étaient les seuls qui fussent soumis à l’empire de la Loi. L’Évangile doit donc nécessairement remplacer la Loi, comme uue loi générale et par laquelle tous les hommes peuvent se sauver.