Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/14

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ment, j’ai repris ma valise. Vais-je rentrer de suite au Collège, cette « boîte » qui se cache sur la butte de Kernon, derrière un rideau de sombres sapins ? Aurai-je le courage de grimper là-haut ? Mes jambes fléchissent, se dérobent sous moi. Allons-y ! Que de monde, sur ces trottoirs, étroits et crevassés ! Que de fois il m’a fallu descendre sur le pavé et remonter hâtivement devant l’arrivée subite des véhicules ! Je suis las, oh ! si las, que je voudrais mourir là, de suite, sans penser à rien. Je dois être pâle, presque hagard. À plusieurs reprises, des passants m’ont dévisagé, avec des mines inquiètes ou apitoyées, curieusement, comme si je portais sur le visage, quelque stigmate redoutable.

À un détour, j’ai rencontré des camarades, gais, turbulents, pleins de santé et de cette méchanceté inconsciente qui en découle.

— Tiens, Rosmor ! bonjour, mon vieux ! Ça va ?

J’ai dit que ça n’allait pas.

— Nom d’un chien ! en effet, ce que t’as décollé. T’as l’air flapi.

— Je le suis en effet, fis-je… Je me sens tout drôle.

— Avec ça, le bachot qui vient et tu as un mois de retard !

— Oh ! le bachot !…

Malgré moi, j’ai eu un geste d’indifférence. Le bachot ! comme c’est loin. Et devant la mesquinerie de toutes ces choses qui me paraissent maintenant ridicules, il me vient un pauvre sourire… Le bachot !

Sarcastique, j’ai ricané. Alors l’un des collégiens a remarqué, mal à l’aise.

— En effet, t’es rien drôle !

Là-dessus, j’ai repris mon chemin, mon calvaire, allais-je dire. Les maisons s’alignent austères, se succèdent dans des rues miséreuses qui, ce jour, semblent condenser toute