Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/27

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notable partie de mon temps se passait, le front collé aux vitres, à regarder la pluie cingler sur l’Esplanade, les haies d’aubépine dénudées et le tourbillon des feuilles mortes au pied sali des marronniers.

Là-bas, au loin, derrière la brume blanche qui léchait les bois de Bot-Varec, j’imaginais la mer furieuse battant les rochers gris et l’écume jaillissant sur les rivages au goémon vaseux. J’évoquais les maisonnettes basses de Saint-Guénolé, bien closes dans l’averse et le crépitement de la pluie dans les taillis avoisinants. Locquénolé ! Gwenolé ! Ys, Gradlon, et la belle Ahès aux cheveux d’or ! Je savais une complainte bretonne, apprise dans mon enfance et que, bien des fois, par les nuits embaumées de l’été tombant en caresse sur le « Yun » bleu, je lançais à gorge déployée dans l’air pur : Merc’hed Sant Guénolé ! Les Filles de Saint-Guénolé, belles filles aux chairs hardies, bonnes langues et rudes cœurs… Et c’est pourquoi j’avais une obscure sympathie, une secrète prédilection pour ce village de la côte, si différent du mien, isolé dans la ceinture sauvage et grandiose de l’Arrée.

— Avance à l’allumage, me criait Masson. Alors j’empilais des bûches dans le foyer. La flamme s’élevait claire et joyeuse, avec des ronronnements voluptueux, mettant quiétude et gaîté dans la chambre, et des frissons au long de mon échine. Sur le manteau de la cheminée, on avait gravé des noms et des dates, au tisonnier rougi. « Nous autres collégiens, sous des allures émancipées et modernistes, nous sommes restés des traditionnalistes incurables et des conservateurs acharnés. » Ainsi disaient les inscriptions grossières ou naïves. Minutieusement, je fis rougir le fer pointu et, avec soin, à la suite des noms, beaucoup inconnus, je marquais en lettres inégales, profondément :

François Rosmor — 1re D. 1923