Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/89

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Il avait fait un joli rêve…


À l’hôpital Laënnec où je suis entré sur les conseils d’une demi-sommité médicale, j’ai trouvé des compatriotes qui se meurent de trop aimer leur pays et de l’avoir quitté. Pantelants, ils se raccrochent à la même espérance : aller mieux, pour s’en retourner vers la poésie lumineuse du ciel breton. Dans leur nostalgie, je leur apporte du réconfort, un peu de courage. Quiconque a beaucoup souffert, s’anesthésie peu à peu à sa propre peine tant il est dit qu’on s’habitue à tout, mais il sait les mots, puisés dans sa propre expérience, qui raniment les énergies et réveillent les vigueurs.

Ensemble, nous nous enivrons des choses de chez nous et qu’ils n’oubliaient pas. Frémissants, ils s’exaltent à la magie du vieux parler celtique qui allume dans leurs cœurs des lueurs splendides et sur les murs gris que leurs yeux fixent, ils voient défiler les paysages chéris où coula leur enfance radieuse.

Oh ! la tendre douceur, à l’ombre des lits-clos ! la marmaille qui s’ébouriffe à l’entour de l’enclos paisible, la mère vaquant aux menus soins, le fauteuil de bois où l’aïeul ne sommeille plus… Les soirs mauves s’émeuvent du train des attelages. Entre les soupirs et les regrets, défilent des souvenirs tenaces : les ébats des troupeaux dans les landes immenses où chantent les ajoncs, et l’adorable hantise de la mignonne payse au profil fin et pur, sous sa coiffe blanche des jours de fête…