Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/146

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cœur. Je promis de revenir, elle promit de m’attendre, et je m’échappai de ses bras tout baigné de ses larmes, pour courir aux lauriers de Dresde et aux cyprès de Leipzig. Quelques lignes de sa main arrivèrent jusqu’à moi dans l’intervalle des deux batailles : « Tu seras père, » me disait-elle. Le suis-je ? Dieu le sait ! M’a-t-elle attendu ? Je le crois. L’attente a dû lui paraître longue auprès du berceau de cet enfant qui a quarante-six ans aujourd’hui et qui pourrait à son tour être mon père !

« Pardonnez-moi de vous entretenir si longtemps de l’infortune. Je voulais passer rapidement sur cette lamentable histoire, mais le malheur de la vertu a quelque chose de doux qui tempère l’amertume de la douleur !

« Quelques jours après le désastre de Leipzig, le géant de notre siècle me fit appeler dans sa tente et me dit :

« — Colonel, êtes-vous homme à traverser quatre armées ?

« — Oui, sire.

« — Seul et sans escorte ?

« — Oui, sire.

« — Il s’agit de porter une lettre à Dantzig.

« — Oui, sire.

« — Vous la remettrez au général Rapp, en main propre.

« — Oui, sire.