Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/63

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elle-même, ce qui déroute singulièrement toutes les théories les plus accréditées sur le cœur féminin, ce que la raison se refuserait à croire si les faits n’étaient pas là, c’est que le jour où elle avait revu le mari de son choix, une heure après s’être jetée dans les bras de Léon avec une grâce si étourdie, Clémentine se sentit brusquement envahie par un sentiment nouveau qui n’était ni l’amour, ni l’amitié, ni la crainte, mais qui dominait tout cela et parlait en maître dans son cœur.

Depuis l’instant où Léon lui avait montré la figure du colonel, elle s’était éprise d’une vraie passion pour cette momie anonyme. Ce n’était rien de semblable à ce qu’elle éprouvait pour le fils de M. Renault, mais c’était un mélange d’intérêt, de compassion et de respectueuse sympathie.

Si on lui avait conté quelque beau fait d’armes, une histoire romanesque dont le colonel eût été le héros, cette impression se fût légitimée ou du moins expliquée. Mais non ; elle ne savait rien de lui, sinon qu’il avait été condamné comme espion par un conseil de guerre, et pourtant c’est de lui qu’elle rêva, la nuit même qui suivit le retour de Léon.

Cette incroyable préoccupation se manifesta d’abord sous une forme religieuse. Elle fit dire une messe pour le repos de l’âme du colonel ; elle pressa Léon de préparer ses funérailles, elle choisit elle-même le terrain où il devait être enseveli. Ces soins divers