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LE FELLAH

— C’est le moyen de faire des hommes bons à tout.

— Ou bons à rien. Ces colonies d’étudiants, qui coûtent cher aux paysans du Nil, ne rendent pas tout le profit qu’on en devrait attendre. Il conviendrait d’envoyer en Europe des jeunes gens bien dégrossis et dont la vocation fût déjà prononcée. Ce n’est pas au hasard qu’on peut choisir les régénérateurs d’un pays. Je vois mes camarades de la mission ; les uns se tuent à travailler, les autres perdent courage et s’abandonnent si bien qu’ils s’en iront sans avoir rien appris que votre langue, et encore ! Pour un qui deviendra ministre, ingénieur en chef, amiral ou préfet, j’en compte deux ou trois qui feront tout au plus des interprètes à gages dans les hôtels du Caire et d’Alexandrie !

— Qu’importe ? Si la mission produit, bon an, mal an, une demi-douzaine de gaillards comme vous, il me semble que les emplois publics seront bien tenus à la fin du siècle.

— Ne parlons pas de moi pour les emplois publics ; ma carrière est tracée : j’entends vivre et mourir fellah !

— Enfin ! s’écria la maîtresse de maison, j’espère que vous allez nous expliquer la véritable signification du mot fellah ! Vous l’avez prononcé deux ou trois fois en un quart d’heure dans des sens divers ; les livres que j’ai lus semblent en faire le synonyme de misérable, de paresseux et de malpropre, et vous vous intitulez fellah sur vos cartes, comme on se pare ici d’une noblesse ou d’une fonction.

À cette interpellation bienveillante et faite d’une voix assurément bien douce, Ahmed bondit sur