Page:About - Le Roi des montagnes.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

elles, et ce qui fait leur beauté, ce n’est pas la régularité compassée de leurs traits, c’est l’expression vive et mobile de sentiments plus délicats que les nôtres ; c’est le rayonnement de la pensée autour de cette fragile enveloppe qui ne suffit pas à la contenir ; c’est le jeu pétulant d’une physionomie éveillée. Je ne suis pas sculpteur, mais si je savais manier l’ébauchoir et qu’on me donnât à faire la statue allégorique de notre époque, je vous jure qu’elle aurait une fossette à la joue gauche et le nez retroussé.

Je conduisis Mary-Ann jusqu’au village de Castia. Ce qu’elle me dit le long du chemin et ce que j’ai pu lui répondre n’a pas laissé plus de traces dans mon esprit que le vol d’une hirondelle n’en laisse dans les airs. Sa voix était si douce à entendre, que je n’ai peut-être pas écouté ce qu’elle me disait. J’étais comme à l’Opéra, où la musique ne permet pas souvent de comprendre les paroles. Et pourtant toutes les circonstances de cette première entrevue sont devenues ineffaçables dans mon esprit. Je n’ai qu’à fermer les yeux pour croire que j’y suis encore. Le soleil d’avril frappait à petits coups sur ma tête. Au-dessous du chemin et au-dessus, les arbres résineux de la montagne semaient leurs aromates dans l’air. Les pins, les thuyas et les térébinthes semblaient brûler un encens âpre et rustique sur le passage de Mary-Ann. Elle aspirait avec un bonheur visible cette largesse odorante de la nature. Son petit nez mutin frémissait et battait des ailes ; ses yeux, ses beaux yeux, couraient d’un objet à l’autre avec une joie étincelante. En la voyant si jolie, si vive et si heureuse, vous auriez dit une dryade échappée de l’écorce. Je vois encore d’ici la bête