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la grande organisation productive, servie par l’automatisme mécanique, elle accomplit par elle-même la séparation entre l’être humain et son travail utilitaire, entre l’individu concret et son rôle comme producteur recherchant la réalisation de ses besoins matériels. L’élément productif de la vie individuelle, qui est aussi l’équivalent de la culture matérielle de l’individu, se transporte entièrement dans l’organisation sociale, et à mesure que s’opère cette socialisation du travail individuel, sa valeur exprimée dans le temps du travail, c’est-à-dire, comme somme indispensable des efforts humains, tend vers l’« infiniment petit », tandis que sa valeur exprimée dans les produits, comme l’équivalent matériel de ces efforts, va en croissant ; car l’organisation sociale du travail est accompagnée nécessairement de l’apparition des colossales forces techniques qui sommeillent dans le génie de la société. — De cette manière, tout le souci de l’existence matérielle de l’individu tend à se reporter exclusivement sur la synthèse sociale, et l’individu même, au prix de la socialisation d’un élément minime de sa vie, surgit de cette synthèse comme un être parfaitement libre ; le travail utilitaire, passant à l’inconsciente organisation de la société, délivre de son joug oppresseur la conscience de l’homme. — Ainsi donc, dans le nœud socio-individuel, caché au fond de l’ordre capitaliste comme son dernier élément, s’accomplit le processus de l’émancipation objective de l’individu humain, processus qui, sur la scène publique, se traduit par un drame de misère, de lutte de classes et d’exploitation. Les contradictions économiques, nées au milieu des douleurs humaines, préparent dans l’imperceptible noyau de la vie sociale, comme pour récompenser ces douleurs infligées, la naissance du monde nouveau, le royaume de l’homme délivré du joug de la chose, la réalisation du rêve merveilleux que l’humanité a conçu jadis, au temps de Tibère sur la terre de Galilée ; alors, c’était le fils d’un simple charpentier, qui lui révélait ses rêves divins sur l’homme délivré des chaînes du travail et des soucis quotidiens, vivant à l’image des « lis des champs », dans les délices de la recherche « des trésors impérissables » de l’amour et de la beauté ; maintenant, c’est l’histoire même qui révèle à l’humanité que dans son propre sein commence déjà à se réaliser ce rêve des siècles passés, que là, — dans les profondeurs de sa vie désorganisée par les souffrances humaines, — se forme déjà, dans son germe « matériel », le nouveau monde de l’homme délivré.

§ 10. — À ce processus de transformation objective, qui s’accomplit dans le nœud socio-individuel contemporain, correspond le processus conscient de l’émancipation de l’homme, — l’idéologie du socialisme.