Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/150

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« Je sais bien, » disait, à la même date et presque dans les mêmes termes, l’auteur de la Démocratie en Amérique M. de Tocqueville, terminant par ces paroles mêmes son immortelle analyse des nouvelles conditions de la société, « je sais bien qu’on ne saurait fonder de nouveau dans le monde une aristocratie ; mais je pense que les simples citoyens, en s’associant, peuvent constituer des êtres très-opulents, très-influents et très-forts. On obtiendrait de cette manière plusieurs des avantages politiques de l’aristocratie, sans ses injustices est ses dangers. Une association politique, industrielle, commerciale, ou même scientifique et littéraire, est un citoyen éclairé et puissant qu’on ne saurait plier à volonté ni opprimer dans l’ombre, et qui, en défendant ses droits particuliers, sauve la liberté commune. »

Vous le voyez : tous deux pensaient de même. Mais, tandis que l’un, atteint de l’impuissance commune, se bornait à observer et à prédire, l’autre puisait dans l’imprescriptrble liberté de la foi la confiance et le droit d’agir. Et si quelque jour le vœu de Tocqueville est réalisé, si le droit d’association passé dans nos mœurs vient donner aux éléments épars de notre démocratie la cohésion qui leur manque, quelque reconnaissance devra monter vers le premier qui, se posant devant les menaces ou les risées populaires en a élevé le symbole sous le froc éclatant du Dominicain :

 Via prima salutis,
Qua minime reris, Graia pandetur ab urbe.

Soyons justes pourtant, Messieurs, ce n’est pas de la postérité seulement que Lacordaire aura reçu sa récompense.