Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 1re partie, 1895.djvu/74

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remords de l’avoir vendu. Et puis, ce surchauffage de Paris, — qui est capable, il est vrai, de faire éclore, chez des gens quelconques, des demi-talents très acceptables, ou, pour mieux dire, de surprenantes habiletés, — est plutôt nuisible pour ceux qui ont quelque charmant rêve à traduire, quelque plainte d’âme à communiquer à leurs frères, — ou seulement un cri sincère à jeter. Il ne fut pas long à s’en apercevoir. Il sentit aussi que le travail, au milieu des agitations mondaines, lui devenait bien plus difficile que jadis, là-bas, dans le silence du jardin paternel aux statues couvertes de mousse.

Donc, il repartit pour Saint-Lô, ne se réservant à Paris qu’un pied-à-terre, qu’un gîte de passage. Et cette troisième période de sa vie fut la plus heureuse de toutes, la plus calme, la mieux combinée à son gré, la plus favorable au développement de son talent. Chaque année, quittant sa retraite de Normandie, il apparaissait pour quelques jours au milieu des éblouissements de Compiègne ou de Fontainebleau. Tous les hivers, il passait aussi deux ou trois mois à Paris, dans les milieux d’élégance vraie, regardant et écoutant les grandes dames de son temps, dont il est le seul à nous avoir peint les allures, le ton familier, les causeries discrètes ou le hautain persiflage, les silencieux héroïsmes ou les passions affinées et sourdement terribles.

J’ai dit que, dans ces conditions nouvelles d’existence, il travaillait avec moins d’inquiétude que jadis ; mais je n’entends point par là qu’il travaillait avec confiance en lui-même. Je crois du reste qu’il a été un vrai martyr des lettres ; on ne trouverait sans doute pas un autre écrivain qui ait aimé son art avec tant de passion et qui en ait