Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 1re partie, 1895.djvu/81

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s’était fait. Dans ce profond abîme, la chute et la mort avaient été silencieuses. »

Oh ! j’étais tranquillisé complètement. L’éloge d’Octave Feuillet, j’étais donc sûr maintenant de pouvoir le faire, de cette seule façon qui fût à ma portée, — c’est-à-dire en toute sincérité d’admiration, avec mon instinct et avec mon cœur.

Ce serait peut-être une bonne fortune, pour un critique digne de ce nom qui aurait à se prononcer sur un écrivain, que de le lire pour la première fois d’un bout à l’autre, comme je l’ai fait, dans l’ordre même où ses livres ont été écrits, et de pouvoir suivre ainsi le développement de son talent, le dégagement progressif de sa personnalité s’il en a une — et de voir s’affirmer dans l’œuvre cette unité sans laquelle il n’y a ni grandeur ni durée.

Je vais dire une chose qui paraîtra peut-être une énormité barbare : pour moi, les écrivains qui peuvent, à un moment donné, ne pas se ressembler à eux-mêmes, ceux par exemple qui peuvent écrire une pièce mystique après un poème athée, n’ont pas d’âme, ne sont que des amuseurs à gages. Les vrais poètes — dans le sens le plus libre et le plus général de ce mot — naissent avec deux ou trois chansons, qu’il leur faut à tout prix chanter, mais qui sont toujours les mêmes ; qu’importe, du reste, si chaque fois ils les chantent avec tout leur cœur !… Ceux qui en savent chanter davantage, les ont trouvées ailleurs qu’au fond de leur âme ; et alors elles ne font plus ni sourire ni pleurer… Tant de livres, dont l’habileté pourtant me confondait, m’ont lassé tout de suite ; il y avait de tout là dedans ; tel passage me rappelait je ne sais quel auteur, — et tel passage après, je ne sais quel autre. Les vrais écrivains n’ont