Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 1re partie, 1895.djvu/93

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les médiocres, d’attaquer cruellement l’œuvre d’Octave Feuillet, parce qu’elle a été presque souveraine — hier ! Rien n’est si comique, même, que ce dédain avec lequel parlent de lui certains petits jeunes gens, qui se croient des auteurs pour avoir publié deux ou trois saugrenuités inintelligibles, dans ces feuilles éphémères consacrées aux déliquescences cérébrales du jour.

Un des reproches qu’on lui adresse, entre mille autres plus accablants, est celui d’avoir vieilli. C’est, en soi, le plus inique de tous les reproches, puisque tout passe ; et cependant c’est le seul que j’admette, au moins dans une certaine mesure. Eh bien, oui, il y a là du vrai ; peut-être a-t-il un peu vieilli, par endroits, bien qu’il se soit efforcé, avec une habileté surprenante, de se soustraire à cette loi dont il semble avoir eu la frayeur anticipée. Il a évité avec soin tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, pouvait donner une date à ses livres ; il n’a jamais dit un mot des actualités de son époque, il a osé à peine esquisser la mise en scène de ses drames, — et je ne sache pas surtout qu’il ait jamais risqué la description d’une crinoline ou d’un corsage à la zouave, comme en portaient, je crois, les belles de son temps. Il a fait tout ce qu’il fallait pour que ses romans ne fussent que de purs romans d’âme, de passion éternelle et toujours jeune. Et cependant, il a un peu vieilli. En y regardant de près, il me semble que c’est le langage de ses personnages qui, comme on dit, marque, insensiblement ; ses jeunes femmes s’expriment comme parlent aujourd’hui leurs mères ; pour être dans le ton du jour, il faudrait ajouter aux dialogues de Feuillet quelque chose que je ne sais comment nommer ici ; peut-être quelque chose que l’on