Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/177

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la phrase comme un objet derrière une vitre. Elle ne fait qu’un avec la pensée, puisqu’il est impossible de concevoir une idée qui soit pensée sans l’aide des mots. Penser c’est prononcer une phrase intérieure ; et les qualités de la pensée sont les qualités de cette phrase intérieure ; et écrire c’est tout simplement reproduire cette phrase. Donc qui écrit mal pense mal. – Il disait encore : Seules sont durables les œuvres conçues sans aucune préoccupation des goûts du public et dans le complet détachement de toute vanité et de tout intérêt personnel. Celui qui poursuivra le succès le trouvera, mais pour un jour; il ne fera pas longtemps de dupes, et son châtiment sera à brève échéance le dédain public, puis un irrévocable oubli. Il est absolument inutile d’écrire si l’on ne se sent capable d’un travail patient et continu et si l’on n’a point le culte désintéressé de l’art, l’indifférence pour le succès et la sévérité à soi-même. – M. Leconte de Lisle prêchait l’exemple. Sa critique égalait ses dons créateurs, et il l’exerçait lui-même, inflexiblement. C’est ainsi qu’il atteignit souvent à la perfection. Mais son hypercritique nous a fait perdre de belles œuvres que l’impérieux poète n’avait point jugées dignes de lui. Peut-on en douter quand on sait qu’il avait décidé de brûler le poème de Qaïn ? Pour sauver ce chef-d’œuvre, il fallut les prières de Mme Leconte de Lisle et les ardentes remontrances d’un ami, qui est au milieu de vous, Messieurs, et que je prends à témoin.

Charles-Marie-René Leconte de Lisle est né le 22 octobre 1818 à Saint-Paul, commune de l’île de la Réunion. Sa famille paternelle descend directement de Michel Le