Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/237

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pas sans doute qu’au temps dont il parle on bâtonnait les déserteurs et qu’on pendait les traîtres.

Cet officier, d’une figure austère et pensive, était le jeune prince d’Orange, qui faisait son apprentissage de la guerre, celui-là même qui devait être un jour Guillaume Ier, roi d’Angleterre.

– Assez, messieurs, s’écria le duc ; j’ai donné permission à M. de Villebrais de se faire accompagner de dix ou douze soldats partout où bon lui semblerait ; mais je n’ai pas, que je sache, abdiqué mes droits de gouverneur de la province. Votre rôle est fini, monsieur, le mien commence. Allez.

M. de Villebrais se retira lentement. En passant devant Mme de Châteaufort et Belle-Rose, il leur jeta un regard empreint d’une haine implacable, rallia ceux de ses gens qui étaient encore debout et s’éloigna.

– Monsieur, dit le duc à Belle-Rose, vous êtes libre ; voici des chevaux pour vous et les vôtres ; voilà une escorte pour vous protéger. Il n’y a plus ici ni Français ni Espagnols : il n’y a que des gentilshommes.

Belle-Rose venait à peine de remercier le duc, qu’un faible soupir lui fit tourner la tête. Son sang s’était figé dans ses veines ; il regardait partout craignant de voir. Un moribond à demi couché sur un cadavre étendait vers lui ses bras suppliants.

– Mon père ! s’écria Belle-Rose, et il s’élança vers le vieux Guillaume.

Cornélius et Pierre s’agenouillèrent autour du fauconnier. Une pâleur mortelle, la pâleur du désespoir, avait effacé sur leur visage l’animation du combat.

– J’ai vécu plus de soixante et dix années, leur dit Guillaume, Dieu me fait la grâce de mourir en soldat : ne pleurez pas.

Belle-Rose ne pleurait pas, mais son visage était effrayant à voir ; il soutenait la tête de son père de ses deux mains et baisait ses cheveux blancs.

– C’est pour moi, mon Dieu ! c’est pour moi que