Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/28

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– Va dormir, lui dit-il ; mais auparavant, demande à Dieu du courage pour la vie qui, demain, commence pour toi.

Le père se retira, et les trois enfants se prirent à pleurer ; ni l’un ni l’autre n’avait la force d’exprimer son chagrin, et chacun d’eux trouvait moins de paroles à dire que de baisers à donner. Vers la pointe du jour, la famille se réunit au seuil de la porte. Jacques avait chaussé de gros souliers et des guêtres ; une ceinture de cuir serrait sa blouse de toile autour de sa taille ; un petit havresac pendait sur ses épaules et sa main était armée d’un fort bâton de houx. Pierre et Claudine sanglotaient. Jacques était un peu pâle, mais son regard avait repris toute son assurance et sa fermeté.

– Où vas-tu, mon fils ? dit le père.

Déjà, à cette époque, Paris était la ville magique, le centre radieux qui sollicitait toutes les intelligences actives, les esprits audacieux, les imaginations inquiètes. Jacques n’avait pas un instant songé aux détails du parti extrême qu’il avait choisi, cependant, à la question de son père, il répondit sans hésiter :

– À Paris.

– C’est une grande ville, pleine de périls et de surprises. Beaucoup y sont arrivés pauvres comme toi, qui en sont partis riches ; mais mieux vaut en sortir misérable que d’y laisser l’honnêteté. Que Dieu te bénisse, mon fils.

Jacques s’agenouilla entre son frère et sa sœur, et Guillaume posa ses mains tremblantes sur le jeune front de son premier-né. Après qu’il se fut relevé, le père voulut glisser dans la main de Jacques une bourse où brillait de l’or, mais Jacques la lui rendit :

– Gardez cet or, lui dit-il ; c’est la dot de Claudine ; j’ai des bras, et dans mon havresac cinquante livres que j’ai gagnées.

Le père n’insista pas ; mais, tirant de son sein un bijou attaché à un ruban, il le passa au cou de Jacques.