Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/284

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– Non, je finis.

Suzanne ouvrit la bouche pour parler, M. d’Albergotti l’arrêta d’un geste.

– Je vous ai fait venir, reprit-il, pour que vous receviez mes adieux. Je vous ai toujours aimée comme un père aime son enfant, vous m’avez rendu cette affection autant qu’il était en vous ; vous avez été honnête, pieuse et résignée ; vous n’avez pas eu une mauvaise pensée : Dieu vous doit une récompense. Approchez-vous, Suzanne, afin que je vous bénisse.

Suzanne, plus morte que vive, s’agenouilla près du lit ; elle avait bien compris à l’air de M. d’Albergotti que quelque chose d’étrange et de mystérieux se passait en lui. M. d’Albergotti posa ses deux mains sur le front de sa jeune épouse et pria. Au bout d’un instant, ses mains s’appesantirent et se glacèrent. Suzanne les écarta et regarda son mari. Le vieux capitaine venait de rendre son âme à Dieu. Mme d’Albergotti le baisa au front, et fermant les paupières du mort, elle alla s’agenouiller sous l’image du Christ et passa toute la nuit en prières. Après qu’elle eut rendu les derniers devoirs à la dépouille de son mari, elle manda une voiture et des chevaux de poste. Claudine ne l’avait jamais vue si prompte et si résolue.

– Est-ce à Paris que nous allons ? lui dit-elle.

– Non vraiment ! Le roi est en Flandre, c’est en Flandre que je vais. Je suis libre maintenant, et Belle-Rose souffre sans doute.

Tandis que Suzanne courait sur la route de Lille, le captif, brisé par les intolérables souffrances qu’il avait éprouvées, restait couché sur son lit, sans voix, sans regard, presque sans souvenir. Sa pensée était couverte d’un voile. Le quatrième jour il se leva. Le guichetier qui déjà avait glissé un papier dans sa main, vint à lui et laissa tomber à ses pieds un autre papier roulé. Belle-Rose le ramassa et y trouva ces mots :

« Si vous êtes malade, restez malade ; si vous ne l’êtes pas, feignez de l’être. »