Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/334

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qu’elle voulait, et courait s’installer derechef dans cette cour maudite où l’on voyait tant d’uniformes, que c’était à peu près comme un camp. Il s’y tenait donc, planté sur ses jambes, épiant la venue d’un visage nouveau qu’il pût interroger, lorsqu’il aperçut Bouletord qui descendait le grand escalier avec un air de capitan merveilleux à voir. Le brigadier avait l’un des poings sur la hanche, et de son autre main il frisait sa moustache. Jamais son chapeau n’avait été posé si de travers, jamais son épée n’avait si fièrement battu ses mollets, jamais ses bottes ne s’étaient appuyées si carrément sur le pavé : c’était un homme qui triomphait des pieds à la tête. Grippard avait vu Bouletord le jour de l’expédition de Villejuif, mais Bouletord n’avait pas vu Grippard qui était déguisé. Le caporal n’hésita pas et aborda résolument son camarade.

– Bonjour, brigadier, lui dit-il.

– Maréchal des logis, s’il te plaît, répondit Bouletord d’un air superbe.

– Ah diable ! nous montons en grade, à ce qu’il paraît.

– C’est M. de Louvois que je viens de voir, qui m’a nommé à ce grade. Il ne s’arrêtera pas là. Le ministre sait apprécier mes services.

En prononçant ces paroles, Bouletord semblait étouffer dans son habit ; il parlait haut et tournait les yeux de tous côtés pour voir si personne ne le regardait. Grippard avait assez de sens pour comprendre que cet homme ne demandait qu’à être interrogé pour répondre. Il lui offrit d’aller boire une bouteille ou deux ensemble, et le maréchal des logis accepta, dans la double espérance de se rafraîchir et d’avoir un auditeur.

– Ainsi, reprit Grippard, quand ils furent assis devant la table d’un cabaret prochain, tu as vu le ministre.

– Comme je te vois ; il m’a donné vingt louis et m’a dit que j’étais un brave qu’il fallait pousser.

– Tu as donc fait toutes sortes de prouesses ?