Aller au contenu

Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/351

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

– Vous la soupçonnez ! dit la jeune fille en pressant fortement le bras de sa compagne.

– Oui, reprit tout bas Suzanne.

– Eh bien, moi aussi ! répondit Gabrielle d’une voix étouffée.

– Malheureuse enfant ! que ne me parliez-vous ?

– À quoi la plainte me servirait-elle ? Ma tante passe pour une sainte… c’est moi qui me trompe sans doute… Qui me croirait d’ailleurs ? Tenez, Suzanne, il vaut mieux que j’obéisse à cet ordre mystérieux.

– Mais vous vous enterrez vivante.

– Vivante ! regardez-moi donc !

Gabrielle écarta les boucles épaisses de sa chevelure et promena sa main sur son visage avec un geste d’une énergie inexprimable. Elle était livide. La voix mourut dans la gorge de Suzanne, qui embrassa Gabrielle.

– Et puis, continua son amie, à quoi bon vivre quand on est seule ? De toute ma famille il ne reste personne que mon vieux père, et je n’ai pas une main sur laquelle je puisse m’appuyer. Au moins, quand je serai religieuse, me laissera-t-on mourir en paix.

Rien ne put faire changer la résolution de Gabrielle : la peur et le désespoir la poussaient à la fois. Aussitôt qu’on sut dans le couvent l’intention où elle était de prendre le voile, la supérieure ordonna de hâter tous les préparatifs de la cérémonie. La famille fut prévenue, les amis conviés, et l’on choisit le jour. Le noviciat de Gabrielle n’était point encore terminé, mais on obtint une dispense de l’archevêque de Paris, et rien ne s’opposa plus à ce qu’elle prononçât ses vœux. Le spectacle du malheur de Gabrielle avait détourné les pensées de Suzanne de leur cours naturel. Elle oubliait ses propres infortunes à la vue de tant de jeunesse alliée à tant de douleur. Une visite imprévue l’obligea de s’en souvenir. La veille du jour où Mlle de Mesle devait renoncer au monde pour se lier à Dieu, Mme d’Albergotti fut prévenue