Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/404

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– Je crois que l’amour de la prochaine y entre aussi pour quelque chose, mais c’est un point que je cherche à me dissimuler. Un bon gentilhomme qui aime sans être aimé, c’est humiliant.

– Parbleu !

– Cependant, je sors du parloir et ne lui ai rien caché des dangers qu’elle courait. Je crois, sur ma parole, que la statue de saint Benoît se fût attendrie dans sa robe de pierre. Elle a souri et m’a répondu un grand : « Que la volonté de Dieu soit faite ! » dont j’ai failli pleurer et dont j’enrage.

– Ah ! oui, fit Cornélius, les fameux dangers dont vous nous parliez en Angleterre : un couvent et un voile !

– Laissez donc ! Tenez, c’est un récit que je veux vous faire. Puisque je ne puis tuer personne, allons souper quelque part.

Cornélius se laissa faire complaisamment. M. de Pomereux, qui était au fait de tous les cabarets de Paris, gagna le coin de la rue du Dragon, où il y avait à cette époque-là un traiteur en renom, cogna à la porte, entra en bousculant le maître et ses garçons et fit dresser une table dans une chambre.

– Monsieur le gargotier, lui dit-il quand le couvert fut mis, allez me quérir de votre meilleur vin, et priez Dieu que je le trouve bon, car de l’humeur dont je suis, s’il n’est que passable, je mets le feu à la maison et vous massacre tous.

Ayant ainsi parlé, M. de Pomereux tira gaillardement son épée et la mit toute nue sur la table. Le tavernier décampa à toutes jambes et revint cinq minutes après suivi de deux valets qui portaient dix bouteilles chacun. Les bouteilles étaient de toutes les forces, et les vins de tous les crus. Le maître en prit une en tremblant et l’offrit au comte, un œil sur le verre et l’autre sur l’épée. M. de Pomereux fit sauter le bouchon et but le verre