Page:Achard - Envers et contre tous, Lévy frères, 1874.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sauvage, qui riait et montrait trente-deux dents blanches chaque fois que Patricio Bempo lui parlait.

Ce qui surprenait le plus Magnus, c’est que la bohémienne, quand elle attachait sur lui ses yeux plus noirs que le charbon, avait dans son regard quelque chose de particulier dont la signification lui échappait. Il lui semblait aussi qu’il avait vu ce visage brun quelque part. Mais il avait beau chercher, il ne trouvait rien.

— J’ai tant vu de visages jeunes et vieux, joyeux ou tristes, charmants ou laids !… c’est un océan ! se disait-il.

Un soir, la trouvant seule sur la lisière du bois trottant comme un chevreau, et par aventure privée de la compagnie de Patricio Bempo, il l’aborda résolument.

La bohémienne s’arrêta.

— Vous plairait-il, mon enfant, de rendre service à un gentilhomme qui serait heureux de passer à votre cou un collier fait de cent ducats d’or fin, dit-il, et pareil à cette bague, qui va si bien à votre doigt ?

La bohémienne ne regarda même pas la bague que Magnus venait de tirer de sa poche.

— Vous plairait-il, à votre tour, de me conduire à ce gentilhomme ?… répondit-elle ; quand je l’aurai vu, peut-être serai-je plus disposée à lui rendre le service pour lequel il a besoin de moi.

Magnus hésita.

— Le camp des Espagnols n’est pas si loin, reprit-elle avec un sourire ; marchez, je vous suis.

Mais la bohémienne ne suivait pas son guide, déjà elle le précédait.

Magnus fit route à côté d’elle ; du coin de l’œil il l’observait ; il voyait au fond de sa mémoire confusément un visage à peu près pareil à celui qu’il avait sous les yeux, comme on voit sans en bien saisir les traits une image réfléchie par l’