Page:Achard - Envers et contre tous, Lévy frères, 1874.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais déjà le cheval effaré de Mme d’Igomer n’obéissait plus à la bride et se livrait à des bonds et à des mouvements désordonnés qui l’entraînaient toujours plus avant dans le liquide épais où ses sabots cherchaient vainement un point d’appui. Il se cabra tout à coup, glissa et tomba sur le flanc.

— À moi ! cria de nouveau Mme d’Igomer.

Enfoncée jusqu’aux épaules dans l’abîme, elle chercha de ses mains crispées à se cramponner aux roseaux ; son poids les entraîna, ils plièrent, et l’eau monta tout à coup jusqu’à son menton ; elle poussa un cri déchirant, on vit ses bras convulsifs battre un instant la surface verdâtre du marais, puis on ne vit plus rien.

Jean de Werth poussa droit devant lui, épouvanté, la pâleur de la mort sur le front. Quand il arriva, du trou où Mme d’Igomer était entrée vivante, une eau limoneuse et glauque étendait partout son miroir immobile. Une écharpe de soie qu’il ramassa du bout de son épée indiquait seule qu’une femme avait disparu là.

Un instant Jean de Werth longea les bords de l’abîme, effrayé du silence qui succédait à cette lutte de la jeunesse contre la mort. Deux ou trois hommes qui le virent mettre pied à terre et chercher à ravir Mme d’Igomer à la tombe unirent leurs efforts aux siens, mais le marais ne rendit point sa proie.

Convaincu que rien ne la sauverait plus et que, parvînt-on jusqu’à elle, on ne retirerait plus qu’un cadavre, Jean de Werth remonta à cheval.

— Maintenant, vengeons-la ! dit-il.

Et, regagnant la rive que Mme d’Igomer avait quittée, il donna ordre à une partie de ses troupes de s’enfoncer rapidement sur la route qui courait vers le nord, et à la tête de l’autre il entreprit de tourner le marais.