Page:Achard - Envers et contre tous, Lévy frères, 1874.djvu/93

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d’un héron et les pieds d’un crapaud. On ne sait pas où se niche le plus vilain.

Mathéus avait la maladresse de laisser voir que ces plaisanteries le déchiraient, et M. de Chaufontaine, qui s’en apercevait, ne les lui épargnait pas. Quelquefois même il interpellait M. de la Guerche et lui soumettait la question.

— Cela ne te surprend-il pas, lui dit-il un matin, qu’un homme ayant le nez si long ait encore la bouche si large ? Il aurait dû choisir. Des yeux si petits et des oreilles si grandes, c’est trop pour un seul visage. Dis-moi ton sentiment là-dessus, le magnifique seigneur qui nous accompagne désire le connaître.

— Et quel visage veux-tu que possède un homme qui a l’âme plus rampante qu’un vermisseau, plus plate qu’une feuille, plus noire que le charbon ? Ce n’est pas un visage, c’est une enseigne !

— Allons, répliqua Renaud, nous accrocherons cette enseigne à la branche d’un chêne.

Les railleries de l’un, l’arrogance de l’autre, avaient fini par faire une impression singulière sur l’esprit des coquins qui marchaient à la suite de Mathéus. Elles les réjouissaient par ce caractère d’audace et de bonne humeur qui plaît même aux natures les plus perverties. Une sorte de sympathie amollissait ces cœurs plus durs que la pierre ; déjà elle se faisait jour en mainte occasion. Un robuste lansquenet, qui avait passé sa vie dans les guerres et dormi sur tous les grands chemins, ne se gênait même plus pour manifester son sentiment intime. Le moment vint où Mathéus comprit que si une tentative était faite pour délivrer ses captifs, il ne devait plus compter sur le concours de ses compagnons.

Son parti fut pris sur-le-champ, et un matin il appela le lansquenet.