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TRISTAN BERNARD

gérez. J’ai du talent, beaucoup de talent, mais je n’ai pas votre génie. Je me connais. Je suis un homme sage et narquois, doublé d’un observateur exact et minutieux. Les dieux m’ont permis de soulever le beau voile, artistement colorié et aux plis savants, sous lequel nous nous cachons, et d’atteindre sous les apparences la seule vérité. Je sais percer ce caractère factice que nous crée la société et je découvre celui qui est vraiment le nôtre. Peut-il y avoir source plus féconde d’ironies ? Je note les infinies contradictions de nos actes, de nos pensées et des conventions de tout ordre auxquelles nous nous soumettons, et des moments les plus solennels de notre existence comme des minutes les plus insignifiantes, des paroles les plus banales comme des gestes les plus nobles, je fais jaillir un comique si juste qu’il excite au rire les visages les plus renfrognés. Aussi ma fantaisie ne quitte-t-elle jamais la réalité, elle en brode l’ironique commentaire et, obstinément elle se distrait à démolir toutes les vieilles légendes, toutes les vieilles traditions, toutes les vieilles coutumes, sur