Page:Acker - Les Deux cahiers, 1912.djvu/19

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Brusquement, elle lui avait saisi la main.

— C’est vrai, avait-elle dit avec une plainte où se mêlait une sorte de fureur, c’est vrai, j’ai été bien belle.

Vieille maison où tous les étés m’ont fidèlement ramenée, où, même après la guerre, continuant à vivre dans le décor des mêmes paysages et ne rencontrant jamais un Allemand, nous pouvions ne pas songer à l’annexion, de quel cœur frémissant je me hâtais vers toi !

On quittait le train à quatre kilomètres de là. Une voiture nous attendait : papa et maman s’installaient naturellement sur les coussins du fond, Mademoiselle en face d’eux avec mon frère, oui, mon frère, car moi je grimpais sur le siège, malgré les remontrances de maman, qui était sévère, mais forte de l’autorisation de papa, qui l’était moins.

De là-haut, à côté de Hans, le cocher, qui sentait si bon mon village, avec son feutre noir et son gilet rouge boutonné sous la petite veste aux boutons d’argent, je regardais venir vers moi mon pays.

La voiture roulait d’abord sous une allée de châtaigniers qui dérobaient le ciel, mais bientôt elle atteignait la route, où, arbres plus modestes, seuls les cerisiers, les sorbiers et les quetschiers contournaient leurs branches. La journée s’achevait ; confiants, près des coteaux qu’escaladaient les vignes, ou tapis dans la verdure, les villages groupaient leurs toits rougeâtres. Tout était jeune, le clair feuillage des bois que faisait plus clair encore l’éclat sombre des sapins, l’herbe nouvelle, l’eau plus vive et plus murmurante, les bouquets de cerises charnues, le ciel même plein de bonheur. À l’horizon, la douce bruine bleue commençait à couvrir les montagnes.

De temps en temps, Hans, claquant fouet, me disait avec un joyeux sourire : — Bonne année, Mademoiselle, pour les foins... Contemplez-moi ça ; il y aura peut-être trois regains.