Page:Acker - Petites Confessions, sér1, éd3.djvu/102

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contemplant, d’un regard un peu vague, l’horizon voilé par les nuages. Il était grand et mince, vêtu d’un complet foncé très simple, les cheveux bruns coiffés en brosse, les yeux étroits, mais très clairs, la lèvre ombrée d’une petite moustache. L’épingle qui piquait sa cravate se terminait par la lettre L, en or, initiale du prénom de celle qu’il avait enlevée.

André Giron était devant moi. Je me trouvai, tout d’un coup, horriblement gêné, encore que nous eussions un ami commun et qu’il m’eût aussitôt tendu la main cordialement. Mon indiscrète visite me semblait digne des qualificatifs les plus réprobateurs. Que venais-je lui demander et quels secrets douloureux ou charmants espérais-je lui arracher ? C’était toute sa vie et toute la vie de la femme qui, pour lui, avait sacrifié ses enfants, sa fortune, sa situation, que je voulais qu’il me révélât.

Un moment, je l’avoue, je fus sur le point de m’éloigner ; mais le journaliste curieux qui demeurait obstinément en moi me retint et me cloua au sol. Nous étions assis en face l’un de l’autre. De temps en temps, de la chambre voisine, parvenait jusqu’à nous une voix très douce, et j’essayais d’expliquer à M. André Giron les causes de mon voyage. Il m’ écoutait en souriant et si jeune, si frémissant encore d’ignorance, tellement enchanté, semblait-il, par le rêve tragique et délicieux qu’il vivait, que mes paroles s’arrêtaient balbutiantes sur ma bouche.