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IRÈNE ET LES EUNUQUES

fermer au cloître, comme tu fis pour mes oncles qui se révoltèrent contre toi. J’aurais donné humblement la communion aux pauvres dans un monastère. Jamais, je te le jure, je n’aurais tenté de fuir le couvent, mais j’aurais gardé la douce vie, le spectacle joli des saisons. J’aurais pu continuer de voir bondir la beauté des bêtes et des femmes. Ô mère, pourquoi m’as-tu condamné durement… Je suis encore enfant presque… J’aime l’existence, moi… Pardonne, pardonne… Je te jure par la Pureté, par le Verbe Sacré du Christ, par tout… Là, me voici à terre, prosterné devant Ta Gloire. Tiens, voici mon épée, et puis le diadème, et puis la pourpre ! Gouverne, commande aux flottes des mers, aux cohortes de cavalerie, aux calculs des marchands, aux voix des prêtres. Oui, oui, tu avais raison. Ta seule sagesse peut régir l’État ; moi je suis une brute, un Bulgare, un de ces Francs stupides qui rient toujours. J’aime les baisers vils des courtisanes, les propos obscènes des parasites, les vantardises de ceux qui courent sur les chars… Je suis un pourceau et un âne, un âne. Un âne… un âne, devant ta pensée, devant ta sagesse, devant ta pitié… Mais est-ce que l’on tue un âne, s’il butte, ou s’il se roule sur la charogne, est-ce qu’on le tue ?… Non, n’est-ce pas ?… Alors… alors laisse-moi la vie, mère. Je sais bien tu me l’as donnée, tu peux la reprendre… Tu es la Puissance… Tu es l’Esprit. Ne me condamne pas. Ne me condamne pas !… Épargne ma misère, mère, mère !…