Page:Adam - Mes premières armes littéraires et politiques.djvu/216

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je n’osais l’ouvrir, pas plus que je n’osais lire Horace ou Nélida. Pour ne pas paraître trop naïve dans mon milieu, je parlais « d’amour, d’amants, de maîtresses, de liaisons » comme tout le monde, mais je gardais au fond de moi-même des préjugés que la vie provinciale avait enracinés. J’admirais George Sand, j’aimais Mme d’Agoult, comme des natures supérieures, mais rien ne m’était plus douloureux que d’entendre rappeler leurs aventures. Toujours prête à les défendre, à établir leur droit d’agir en homme dont elles prenaient le nom, je ne voulais pas les juger comme femmes.

Un jour que nous nous promenions dans l’avenue de l’Impératrice, Mme d’Agoult me parla de George Sand. Elle lui en voulait comme aux premiers jours d’Horace, comme elle en voulait à Balzac de Béatrice ou les Amours forcées. Elle ne pardonnait ni à l’un ni à l’autre, et son indulgence généreuse pour tant de gens et de choses s’arrêtait net quand le nom de Balzac ou celui de Mme Sand était prononcé. Elle devenait alors très agressive et très amère.

« Vous avez lu Elle et Lui ? » me demanda brusquement Mme d’Agoult.

Une angoisse m’étreignit. Ma grande amie allait-elle m’obliger à prendre parti avec elle contre George Sand ? Je répondis troublée :

« Non, madame, mais je vais le lire, il est sur ma table.

— Eh bien, vous ne serez peut-être pas fâ-