Page:Adam - Mes premières armes littéraires et politiques.djvu/406

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— C’est à n’y pas croire, ajoutait Legouvé ; on recherche le vulgaire, le grossier, le vil, et vous ne pouvez imaginer ce qu’on chante d’inepties dans les cafés-concerts. On prend dans tous les mondes autant de peine pour rechercher le laid que pour découvrir le beau. Le grand seigneur affecte des façons de cocher, la grande dame imite les aventurières. On regarde autour de soi, on regarde en bas, et l’on ne veut plus regarder en haut.

— Comment expliquer, reprenait Jean Reynaud, qu’au moment où l’on se plaît à imiter les incorrections de la mauvaise éducation, le goût stupidement correct du tout-pareil prédomine ? le banal, le monotone, l’absence de fantaisie, d’originalité, semble devoir avant peu tout aligner, tout égaliser, tout uniformiser ?

— Si cela continue, l’avenir nous ménagera peu de surprises, mon pauvre ami, soupira Legouvé. Plus d’exceptions, le nivellement ! Avez-vous entendu parler du Petit Journal à un sou que va fonder Millaud : le journal du grand nombre, fait pour le grand nombre, dans l’esprit du grand nombre ? Millaud disait ces derniers jours devant John Lemoine, qui me l’a répété : « Je vais avoir en mains la fin de la grande presse, de la grande aristocratie du journalisme. J’aurai un million de lecteurs où vous en aurez mille, et quelle puissance ! Vous ne pouvez pénétrer la foule, je pénétrerai vos classes. Je serai l’unique lecture de la masse.