Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/192

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sous les arbres pour respirer l’air et la poussière de cette promenade. La nuit était venue, Viotti qui était très-rêveur, s’était laissé aller à ces émotions intimes qui l’isolaient complétement au milieu du cercle le plus nombreux ; et mon père qui travaillait alors à son opéra de Corisandre, repassait dans sa tête quelques motifs de son ouvrage, lorsque tous deux furent assez désagréablement distraits par un son faux et criard qui leur fit dresser la tête et ouvrir les oreilles. Tous deux se regardèrent en ayant l’air de se dire : Qu’est-ce que cela ? ils s’étaient si bien compris sans se parler que Viotti rompit le silence en s’écriant :

— Ce ne peut-être un violon, et cela y ressemble.

— Ni une clarinette, dit Langlé, et cependant il y a de l’analogie.

Le moyen le plus sûr de s’en assurer était d’aller vers l’endroit d’où partaient les sons discordants qui avaient attiré leur attention. À défaut de l’oreille, l’œil aurait pu les guider par la lueur tremblottante d’une maigre chandelle brûlant devant un pauvre aveugle accroupi à une centaine de pas d’eux. Viotti y était le premier :

— C’est un violon ! s’écria-t-il en revenant en riant près de Langlé, mais devinez en quoi ? en fer-blanc ! Oh ! cela est trop curieux, il faut que je possède cet instrument, et vous allez demander à l’aveugle de me le vendre.

— Bien volontiers, reprit Langlé, et s’approchant de l’aveugle : Mon ami, lui dit-il, vendriez-vous bien votre violon ?