Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/240

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tions ? Quel sentiment peut inspirer celui qui fut assez courageux pour se priver des douceurs de la paternité parce qu’il était trop lâche pour oser en affronter les douleurs, même dans l’avenir ?

Quel jugement peut-on porter sur l’écrivain qui, en traçant ses honteuses confusions, a encore l’orgueil de dire : « Je fais ce que nul homme n’a osé faire, vienne le jour du jugement suprême et je pourrai paraître devant Dieu, mon livre à la main, en disant :

« Voilà ma vie et ce que je fus ! »

Non, Rousseau ne se mentait pas à lui-même à ce point, il mentait pour les autres. Lorsqu’il se disait malheureux de sa gloire et de sa renommée, il voulait qu’on le crût, mais il savait bien qu’il ne disait pas vrai. Ses bizarreries étaient calculées, sa fausse sensibilité l’était aussi. Les persécutions dont il se plaignait étaient sa joie et son orgueil ; il les appelait et craignait de ne pas se désigner assez lui-même par sa renommée et l’éclat du nom qu’il portait. Lorsqu’exilé de France, il venait s’établir à Paris, lorsqu’il voyait qu’on y tolérait sa présence et qu’on ne songeait pas à l’inquiéter, qu’inventait-il ? De se déguiser, en Arménien, prétendant que ce costume était plus commode. Heureux d’ameuter les polissons et les imbéciles par l’étrangeté de son costume, à une époque où régnait une sorte d’étiquette et de hiérarchie dans les habits de toutes les professions, il dut certes s’indigner étrangement de ne point parvenir à s’attirer la colère de la police, et de n’exciter, par cette grotesque mascarade, que les sourires et la pitié des honnêtes gens.