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SOUVENIRS D’UN MUSICIEN.

airs si gracieux qui, tous, sont devenus populaires, et que trente années d’intervalle (et c’est plus d’un siècle en musique) n’ont pu faire vieillir. L’immense succès qu’obtint le Calife fut loin de produire chez Boïeldieu l’effet qu’en aurait éprouvé tout artiste moins consciencieux. C’est alors qu’il sentit tout ce qui manquait encore à son talent ; il comprit que, quels que soient les dons que la nature vous ait prodigués, il est encore dans la science des ressources dont le génie doit profiter : il obtint de Chérubini de recevoir des leçons de cet habile théoricien, et nul exemple de modestie ne peut être proposé plus efficacement aux jeunes artistes, que l’amour-propre aveugle trop souvent, que celui de l’auteur du Calife et de Beniowski venant avouer son ignorance à l’auteur des Deux Journées et se soumettant sous ses yeux à l’apprentissage d’un écolier.

Le fruit de ces précieuses leçons ne se fit pas attendre : le premier ouvrage que donna Boïeldieu, après les avoir reçues, fut Ma tante Aurore. Il avait fait un pas immense dans l’art d’orchestrer et de disposer l’harmonie ; on en peut trouver la preuve dans la suave introduction de l’ouverture, où les violoncelles sont si habilement disposés ; dans le dessin des accompagnements du premier duo, dans l’harmonieuse instrumentation des couplets : « Non, ma nièce, vous n’aimez pas, » etc.

Aucune qualité ne manquait alors au talent de Boïeldieu : moins profond peut-être que quelques-uns de ses rivaux, il était aussi dramatique et souvent