Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

le peuple s’était répandu dans le château des Tuileries et brisait tout ce qui se rencontrait sur son passage. Je voulus jeter un dernier coup d’œil sur ces appartements, où j’avais été appelé si souvent avant qu’ils ne fussent dépouillés de leur magnificence. Je me rendis donc au château, et je fus porté par la foule jusqu’à la chambre de la reine. Ah ! Monsieur, quel spectacle ! Tout était saccagé, brisé ; un seul objet était encore intact, c’était le clavecin ; mais un homme hideux était monté dessus, il haranguait la multitude, et autant que je pus entendre, au milieu du tumulte, il proposait de jeter mon pauvre clavecin par la fenêtre. J’étais tout tremblant dans un coin, abîmé, anéanti ; l’orateur saute en bas de son piédestal, trente mains vigoureuses s’emparent de l’instrument, la queue est déjà hors du balcon ; il va aller faire un tour de jardin, quand tout à coup une voix jeune et claire se fait entendre : Arrêtez ! arrêtez !

On s’arrête en effet. Le clavecin reste suspendu sur le bord de l’abîme, et l’orateur s’avance. C’était un tout jeune homme, en uniforme de garde national. Sa figure enjouée, franche et spirituelle en même temps, prévenait en sa faveur.

— Citoyens, qu’allez-vous faire ? leur dit-il, pourquoi briser cet instrument ? Ignorez-vous donc le pouvoir de la musique ? N’avez-vous pas souvent marché en entonnant la Marseillaise ? L’effet en serait encore plus merveilleux avec accompagnement. Au lieu de briser cet innocent instrument, laissez-moi vous régaler d’un petit air patriotique.