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MESSES NOIRES

geant le post-office où il s’était arrêté, une avenue fleurie comme une terrasse avec de larges palmiers verts découvrait une vue ravissante. Lyllian suivit son parapet de marbre, et, s’accoudant, s’amusa à découvrir les rues qu’il avait parcourues dans la ville basse, les quais, les môles près desquels son paquebot faisait escale.

Il évoqua Harold Skilde, l’insistance presque délicieuse — l’écrivain avait tant de charme dans la voix et dans les yeux, — l’insistance avec laquelle il l’avait prié de l’accompagner. Ils en parlaient depuis si longtemps, depuis Marseille et depuis Naples, de cette Malte merveilleuse ! N’était-elle pas d’un autre âge, chimérique par ses héros, sainte par ses martyrs ?

Les soirs à la coupée, mollement étendus sur les rockings, ils l’avaient tant rêvée, avec son escorte de paladins et de forbans, de chevaliers et de janissaires ! Mais Lyllian, une fois arrivé, ne s’était plus juré qu’une chose : Porter lui-même sa lettre à Edith, s’échapper, se recueillir, penser à la chère petite absente. Et Skilde, connaissant son caractère d’enfant gâté, n’avait pas insisté…

Il faisait tiède et doux. Tout autour de la Valette, les jardins bigarrés qui garnissaient les collines avaient l’air de grands lézards sur un mur oriental. Des bois d’orangers, des cèdres, des myrtes et des bosquets énivrants de lauriers-roses escaladaient la colline, jusqu’aux pieds du jeune homme. Un bruit menu de sabots le fit se retourner. Dans la lumière, une paysanne passa, juchée sur un minuscule ânon gris qui disparaissait sous deux hottes de grenades. La fille était jolie, avec des yeux immenses qui souriaient paresseusement. Un fichu bariolé pointait sur sa tête, encadrant son visage brun