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AGONIE

Poème qu’elle ne lisait pas !… À l’accueil de ses paroles, au trouble de ses gestes, à la pâleur de son visage. Jacques avait compris que Ninette l’aimait, l’avait aimé. Lui avait pu chasser de son esprit et de son cœur cet autrefois là, cette minute là, momentanément par le spectacle des diversités extérieures. Mais elle, l’aveugle ? Elle restait impitoyablement en face d’elle-même. Qu’elle ne t’aimât plus ; qu’elle le détestât même… n’importe. Elle restait en face de cet instant d’émoi. Et Jacques l’en plaignit d’une âme involontaire. Car, lorsqu’on est sous l’impression perpétuelle d’un souvenir on finit toujours par en souffrir. Que le souvenir soit triste, le temps n’adoucit pas la douleur. Que le souvenir soit doux, on regrette qu’il n’existe plus qu’en souvenir, et l’on pleure. Voici pourquoi la vie a un fond de mélancolie tragique : Les uns regrettent de ne pas avoir, les autres regrettent d’avoir eu. Le problème, l’énigme, les tenailles, c’est que le présent n’existe pas, et